Nathalie me reçoit chez elle, en plein cœur de Paris où elle aime également rencontrer ses clientes qui choisissent le click & collect pour retirer leurs commandes. Elle est la créatrice de la marque de vêtements grandes tailles pour femme appelée Les Militantes, lancée en septembre 2021. C’est dans ce cadre chaleureux, entourées par ses créations, que nous avons discuté de sa première collection et de son aventure entrepreneuriale.
Comment as-tu eu l’envie de créer Les Militantes ?
Aujourd’hui, je m’habille en taille 48/50 et ça fait plus de 20 ans que je ne peux plus rentrer dans du 42. Il y a 20 ans, lorsque je faisais les boutiques avec ma meilleure amie qui s’habillait en 32, on rentrait dans les boutiques et on en ressortait les mains vides parce qu’il n’y avait ni sa taille, ni la mienne. A l’époque on en riait beaucoup en disant : un jour, on créera une marque et on ouvrira une boutique avec d’un côté du 32 puis directement du 44.
Pendant toutes ces années je ne me suis évidemment jamais promenée nue, j’ai toujours réussi à m’habiller mais quand je voyais des pièces chez des petits créateurs ou des marques un peu sympas, je me demandais pourquoi moi je n’y avais pas le droit. Je parle à la fois des boutiques et d’Internet parce que à l’époque, au-delà du 42/44 même sur Internet on ne trouvait quasiment rien.
Dans ma précédente vie professionnelle, j’occupais un poste de direction dans une agence d’édition publicitaire. J’ai assisté à des dizaines de séminaires, de réunions, de présentations clients, et à chaque fois, pour s’habiller c’était très compliqué. Bien sûr, on trouve des astuces, on essaie de s’acheter des jolis sacs à mains, des chaussures un peu sympa, on accessoirise mais c’est quand même très compliqué. Souvent, j’ai acheté des chemises ou des pantalons d’hommes parce que je ne trouvais rien dans ma taille.
Pour toutes ces raisons, j’avais toujours en tête, un peu comme une blague, de lancer cette marque. En 2019, j’ai eu l’opportunité de quitter l’entreprise pour laquelle je travaillais. Je me suis dit : tu as 50 ans si tu ne le fais pas, tu ne le feras jamais. Et je me suis lancée.
Pourquoi as-tu choisi ce nom ?
Ma mère et ma grand-mère rencontraient des difficultés pour s’habiller. J’ai rencontré de nombreuses femmes au cours de ma vie professionnelle qui avaient le même problème. Depuis tant d’années, toutes ces femmes réclament le droit à la mode et elles ne l’ont toujours pas.
“Je ressens Les Militantes un peu comme un hommage à toutes ces femmes qui depuis 30, 40, 50 ans et peut-être même plus, hurlent chacune dans leur coin le fait qu’elles veulent s’habiller et personne ne les entend.”
Les Militantes ce n’est donc pas un nom neutre. Nous nous battons pour un droit. Ma baseline c’est le droit à l’allure parce que je trouve que la mode traite, [NDLR : elle précise qu’elle va utiliser le mot les grosses], les grosses comme des serpillères. Trop souvent, les vêtements sont mal coupés, les tissus ont de drôles d’imprimés que je ne vois jamais ailleurs … Pourquoi, parce qu’on s’habille en grandes tailles devrait-on subir tout ça ?
Qui est la femme Les Militantes ? Et que lui proposes-tu ?
C’est généralement une femme de trente-cinq ans et plus, heureuse et active. Elle aime les belles choses, les belles matières, a envie de faire attention à elle.
Je lui propose des vêtements qui ont été absolument étudiés pour elle, qui la considèrent vraiment. Il n’y a pas une seule pièce de la collection qui n’a pas été créé, confectionnée et imaginée sans cette considération que nous avons pour les femmes qui sont dans notre situation. Tout n’a été que bienveillance.
Avant tout, je voudrais qu’elle sache qu’on s’intéresse réellement à elle, que ce n’est pas un business cette marque. Ce ne sont pas des tailles qu’on a rajoutées sur une marque existante, c’est un vrai travail de fond et de réflexion sur nos corps, nos corps gros, nos morphologies.
Ensuite, je voudrais lui dire que ce n’est pas parce qu’on a un corps gros qu’on n’a pas le droit d’avoir des choses de qualité. Je comprends très bien qu’acheter une pièce Les Militantes peut être un sacrifice pour certaines et qu’elles ne le fassent donc pas. Je le comprends vraiment. Mais quand on a un peu les moyens ou la patience d’économiser un peu, je pense que s’autoriser à acheter une belle pièce qui nous fait nous sentir belles et nous fait plaisir fait aussi partie un peu d’une démarche de conquête de l’estime de soi.
Quelles ont été tes exigences pour cette première collection ?
Mon premier critère, c’est que je voulais des vêtements qui soient portables en toutes circonstances, que l’on puisse porter aussi bien la semaine au bureau ou le week-end. Avec un petit sac et des escarpins ou avec un jean et des baskets, en fonction des activités. Par exemple, la robe que je porte aujourd’hui [NDLR : elle porte la robe Marion], j’adore la porter loose sur mon jean mais dès que je la ceinture, avec des talons et des collants, elle ne ressemble plus du tout à la même chose.
Ensuite, nous avons fait très attention aux choix des matières. Les blouses Mona et Manon sont en crêpe de viscose polyester. C’est une crêpe épaisse et du coup, elles se tiennent. Ce sont vraiment des belles matières. Je suis tombée amoureuse du velours du blazer. J’ai fait imprimer certains tissus en exclusivité pour nous en Italie. Ils sont beaux et rares.
En troisième critère, nous avons fait très attention à ce que tous les vêtements aient un beau porté sur les différentes morphologies que nous avons identifiées. Ce sont des modèles plutôt classiques mais repensés pour apporter modernité, confort et féminité. Par exemple, assez vite nous avons choisi de faire des manches raglan, des manches un peu descendues. Ensuite, après avoir fait de premiers essayages de la chemise Mona par exemple, j’ai souhaité ajouter des plis un peu partout pour ne pas qu’elle tombe trop droite, et parce que je trouve cela moins austère et surtout très féminin. Mais il ne fallait pas que cela ajoute du volume donc il nous a fallu travailler de manière subtile.
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La collection forme un ensemble très cohérent, c’est presque un dressing complet. Comment as-tu choisi les pièces qui la composent ?
Certaines pièces étaient des incontournables pour moi. J’en rêvais, je les voulais absolument, comme le blazer ou encore la cape. La collection est composée de 16 pièces que nous avons vraiment imaginées en cohérence les unes avec les autres. Nous n’avons pas travaillé avec plein de couleurs, il y a principalement du bleu du kaki.
Nous avons par ailleurs beaucoup réfléchi aux imprimés parce que dès le départ, nous voulions faire un ensemble jupe et chemise assortis mais notre crainte était que cela ne paraisse trop chargé. Nous les avons finalement faits légers, pas trop marqués, en couleurs nude ou kaki. Et ce même nude, nous l’avons utilisé pour des imprimés différents.
Utiliser certains tissus pour plusieurs pièces, comme la robe Marion et la blouse Margaux nous a permis de contenir les coûts de production mais ce n’est pas ce qui a primé. Nous voulions faire une vraie collection et non un bric à brac. Je ne voulais pas par exemple d’un pull rouge que l’on n’aurait jamais pu marier avec aucune autre pièce.
Travailles-tu déjà à ta prochaine collection ?
Je n’en suis pas encore certaine, mais je pense que ce ne sera peut-être plus des collections à part entière. Ce seront plutôt des pièces dévoilées au fil de l’eau. Parce que le monde évolue, on ne raisonne plus forcément en saisons, été puis hiver. Gérer moins de pièces de front nous permettra de travailler différemment. Et puis nous proposerons peut-être certaines pièces en pré-commandes.
Après t’avoir écoutée, j’ai l’impression qu’en achetant une de tes pièces, je fais finalement bien plus que m’acheter un vêtement
Créer, dessiner et produire une marque de vêtements grande taille est en soi un acte militant et cette marque en fait ce n’est pas seulement une marque de vêtements, c’est presque un projet sociétal. D’ailleurs c’est cet engagement qui me porte beaucoup au quotidien. Parfois sur Internet, certains me disent que je me fais de l’argent sur le dos des gros, ce n’est pas agréable mais je me dis en fait ce n’est pas très grave. Parce que au-delà du fait qu’il est objectivement difficile de gagner de l’argent avec une marque de vêtements qui débute, mon but premier n’est vraiment pas de faire du business. Mon engagement est bien plus fort que ça.
“J’ai envie de mener une guerre douce. Je ne monterai pas sur les barricades mais je veux essayer petit à petit de faire rentrer dans les esprits que tout ceci est juste normal”
A travers mes vêtements, je veux défendre les femmes qui s’habillent en grandes tailles parce que ce n’est pas possible de rester dans cette stigmatisation. J’aimerais qu’elles retrouvent l’envie de se faire plaisir, de prendre soin d’elles parce que ça fait partie des choses les plus importantes de la vie.
Je veux inverser les standards, rendre normale la grande taille et quand je parle de droit à l’allure, ce n’est pas pour rien. Je mène un combat pour un droit. Pour que toutes les femmes aient enfin accès à des pièces de créateur, qui les subliment.
Cette interview a été réalisée en novembre 2021. Un grand merci à Nathalie, dont j’espère ne pas avoir trahi les mots, pour ce riche échange.
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Crédit photo : Nathalie