Les Militantes : “et faire comprendre que la grande taille, c’est tout simplement normal”

Créatrice de la marque Les Militantes, Nathalie partage avec nous son expérience entrepreneuriale et dévoile les coulisses de la conception, de la confection et de la vente d’une marque de vêtements grandes tailles pour femmes.

Comment se situe Les Militantes sur le marché des vêtements grandes tailles ?

Les Militantes se situe sur le même créneau que Marina Rinaldi et Elena Miro mais à des prix plus abordables. Quand j’ai lancé mon manteau par exemple, j’ai regardé les manteaux comparables sur le site de Marina Rinaldi. Il y en avait un avec exactement la même composition que le mien, en laine et cachemire, et un peu de polyamide en plus. Je le propose à un peu moins de 500€ et Marina Rinaldi le propose à 1199€…

Pourquoi as-tu fait le choix d’une marque grandes tailles et non d’une marque inclusive ?

Je crois que les femmes s’habillant en 42 et moins ont, en théorie, déjà un large choix de marques de prêt-à-porter. Cependant, beaucoup de femmes m’ont demandé de faire du 42. Je pense que c’est parce que pour cette taille déjà, il peut malgré tout être difficile de trouver des vêtements. Il y a tellement de boutiques qui disent faire du 42 mais qui dans les faits, n’en propose presque pas dans leurs boutiques. Souvent également, quand on essaie un 42, on s’aperçoit qu’il faudrait plutôt faire un 40 pour pouvoir bien le porter. Mais si j’ajoute une taille dans un sens, je veux le faire dans l’autre sens aussi et donc, ajouter un 58.

Comment as-tu conçu les pièces de cette première collection ?

Je ne dessine pas moi-même. Il a donc fallu trouver une styliste et également une modéliste qui avaient déjà travaillé sur des modèles en grandes tailles. Ce n’est pas aisé parce que ni le style ni le modélisme ne sont appris à l’école en grandes tailles. Ce sont des personnes rares parce qu’il a fallu qu’elles s’intéressent par elles-mêmes aux grandes tailles et se forment presque seules. Ensuite, j’avais fait des moodboards pour discuter avec la styliste de ce que j’aimais. Je voulais que cette première collection reste relativement classique, avec des basiques. Dans les collections suivantes, on pourra peut-être davantage s’amuser.

Existe-t-il vraiment des problématiques spécifiques lorsque l’on souhaite confectionner de la mode grandes tailles ?

Une problématique quand on fait de la mode grandes tailles c’est qu’on travaille avec des professionnels encore rares, pour les raisons que je viens d’évoquer. Leur expertise est essentielle et a un coût. Par ailleurs, je fabrique de toutes petites séries qui assurent que normalement on ne retrouvera pas son blazer sur le dos de sa voisine, mais qui ne permettent pas de réaliser des économies d’échelle.

Ces coûts supplémentaires se répercutent dans le prix de vente. Avant que je ne mette le site en ligne, je suis allée voir chez Zadig les prix d’une blouse vraiment hyper basique. Leur blouse ultra simple, on va dire l’équivalent de la blouse Manon, très simple, mais en tissu 100% polyester, moins qualitatif, qu’ils produisent sûrement à des milliers d’exemplaires vendus dans le monde entier, est vendue 290€. Et là je me dis, OK moi je n’en fais que 30 et je culpabilise des prix que je vais mettre en ligne.  

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On évoque également souvent le sizing comme frein au développement de tailles au-delà du 44, as-tu rencontré des difficultés ?

J’ai rapidement compris que le sizing est un des grands enjeux de ce marché. Il n’y a en fait aucun standard. J’ai fait des tableaux de mesures des vêtements qui m’ont pris un temps infini parce qu’ils sont très complets. Ils sont aujourd’hui toujours accessibles sur le site mais ce n’est plus ce que l’on voit en premier quand on va dans le guide des tailles parce qu’en fait les clientes n’arrivaient pas à les utiliser parce qu’elles n’avaient pas l’habitude de tableaux si précis je pense. J’ai donc refait des tableaux avec moins de mensurations, plus simples, et il y a une note qui renvoie vers ces tableaux plus complets. Pourtant, avoir des mesures précises était une demande que m’avait faite ma communauté Instagram.

Comment trouve-t-on les coupes justes alors quand il existe si peu de standards ?

La collection comporte 16 pièces. Je pense que nous avons dû faire au moins 4 essayages par pièce, sur les deux mannequins, ce qui fait plus de 100 essayages. Nous n’avons jamais arrêté et, par itérations, nous avons vraiment beaucoup travaillé pour que toutes les pièces tombent juste et soient confortables.

Iael, la modèle que l’on voit sur les photos du site, et moi, faisons toutes les deux un 48. Nous avons exactement le même tour de taille mais pas la même morphologie. Pour trouver un pantalon dans lequel elle arrive à entrer ses hanches, il faut souvent qu’elle prenne un 50 ou un 52. Sauf que sa taille c’est 48 alors elle doit porter une ceinture. Moi à l’inverse, bien souvent, les pantalons en 48 sont un peu trop large aux hanches.

En partant de nos expériences personnelles, nous avons vraiment essayé de faire très attention aux différentes morphologies pour tous nos vêtements. Nous avons fini par faire deux morphologies différentes pour les pantalons, en fonction des hanches de chacune. ça a été une aventure parce que même la modéliste n’avait au début pas imaginé que ce serait nécessaire.

Un autre exemple est le blazer. Au début, il y avait un bouton devant. Mais ça ne tombait pas juste alors on l’a enlevé et on a agrandi un peu le col châle que l’on peut désormais plier plus ou moins sur toute la longueur. En fonction de ses hanches, on peut ainsi ajuster l’ouverture du blazer pour trouver le plus joli tomber sur soi.

Comment as-tu choisi les ateliers qui confectionnent les vêtements de la collection ?

D’abord, je voulais que la confection ait lieu France. A ce moment-là, je ne m’y connaissais pas encore beaucoup et je me suis dit que si je faisais produire trop loin je ne pourrais pas y aller et j’aurai du mal à comprendre. Je viens d’un métier de production, du monde de l’imprimerie où je m’occupais d’imprimés publicitaires pour de très grandes marques. J’avais l’habitude de parler directement avec les fournisseurs et de résoudre les problèmes grâce au fait que je connaissais bien les méthodes de production. C’était rassurant.

Je n’avais encore jamais travaillé avec un atelier de confection et j’avais besoin de mieux comprendre. Pour cela, j’avais besoin de voir et il était donc beaucoup plus facile d’avoir des ateliers à Paris où j’habite. Par ailleurs, au moment du lancement de la confection, mon pied était cassé et me déplacer était très compliqué. S’il avait fallu partir à droite à gauche pour superviser la production, je n’aurais pas pu. Là au moins en 2 min de Uber, j’étais sur place.

Et puis j’ai bénéficié de l’expérience d’Amy qui m’a aidée sur la partie production. Elle a une marque et elle travaille avec des ateliers parisiens. Nous avons pu aller les voir ensemble et j’ai pu voir ce qu’elle sortait en terme de qualité pour sa marque. Je me suis dit ok, c’est beau et c’est la qualité que je recherche pour Les Militantes.

J’ai donc choisi ces ateliers parisiens pour pouvoir échanger avec eux tout le temps, facilement et me rendre sur place dès qu’ils avaient des questions. C’était beaucoup plus simple.

Pourquoi as-tu choisi de produire du stock et non de proposer des pré-commandes ?

J’ai posé la question à ma communauté. Commandaient-elles vraiment en pré-commande et quel était le délai d’attente acceptable. Peu ont dit oui et le délai était de maximum 5 jours. Donc j’ai choisi de fabriquer directement la collection. Mais pour les prochains vêtements, je proposerai de la pré-commande si j’arrive à proposer des délais raisonnables.

Si je fais de la pré-commande, je continuerai vraiment à faire fabriquer à Paris pour pouvoir aller dans les ateliers parce que pour pouvoir respecter les délais, il faut être réactif pendant la production et pouvoir aller directement sur place pour répondre aux éventuelles questions et vérifier que tout avance comme prévu : avez-vous tous les boutons ? Avez-vous les bonnes étiquettes ? Arrivez-vous à faire ceci ou cela ? Etc.

Les photos sur le site présentent la collection de façon originale en permettant de la voir portée sur deux mannequins différents. Était-ce un choix évident ?

J’ai fait le deuxième mannequin sur le site mais ce n’était pas du tout prévu, je déteste ça, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. J’avais choisi deux mannequins aux morphologies différentes pour présenter les vêtements de la collection. Au dernier moment l’une des deux s’est désistée, celle qui avait à peu près ma morphologie.

Iaël, l’autre mannequin que l’on voit sur le site, appartient à une agence de mannequins grandes tailles et je lui ai demandé si elle avait dans ses contacts une mannequin de ma morphologie qui pourrait être intéressée par le projet. Elle a fait des recherches puis elle m’a appelée un jour pour me dire qu’elle s’était aperçue que même dans les agences de mannequins spécialisées, qui sont le reflet de ce que cherchent les magazines et les marques, il n’y a pas de filles de ma morphologie “mono bloc”. Ils cherchent des filles comme Yael avec des formes très marquées. C’est toute l’ambiguïté de la représentation de des femmes qui s’habillent en grandes tailles aujourd’hui. Est-elle si inclusive si certaines morphologies sont plus mises en avant que d’autres ?

Les marques qui se lancent souffrent souvent d’un manque de visibilité. Comment travailles-tu ta visibilité ?

La collection finalement à créer et à produire c’était beaucoup moins compliqué que ce que je suis en train de faire en ce moment. Toute la difficulté de ce marché qui n’est pas très balisé c’est qu’il est dur de se rattacher à une bonne pratique toute prête.

Il n’y a pas de magazine papier dédiée à la mode grandes tailles. Dans les magazines “standards” les seules publicités que l’on peut voir sont celles de Marina Rinaldi, même Elena Miro a un peu disparu. Il y a également peu de sites Internet dédiés comme The Body Optimist (anciennement Ma Grande Taille). Alors l’essentiel de la communication passe par les réseaux sociaux.

En ce moment, je suis une formation sur le marketing digital. On apprend à comprendre le système des publicités sur Facebook ou Google. Ce qui me réjouis, c’est qu’on ne puisse pas cibler les gens sur des critères comme gros, pas gros ou noirs, pas noir, grands, petits, etc. Mais pour être pertinente, il faudrait que je diffuse mes publicités auprès d’une population de personnes qui s’habillent en grandes tailles et qui acceptent d’investir un peu de moyens dans leur garde-robe. Mais je ne peux pas faire un ciblage aussi précis et c’est quelque chose qui me handicape. Pour l’instant, je ne sais pas comment faire. Même les formateurs me disent que je suis vraiment sur une micro niche dans la niche. Je comprends donc que c’est un challenge compliqué.

Quels liens entretiens-tu avec ta communauté Instagram ?

Je leur raconte l’aventure des Militantes, j’ai commencé avant le lancement de la première collection. Je raconte les coulisses, mes choix, pas à pas.

Je leur pose des questions aussi. Par exemple, je voulais faire une chemise blanche en popeline magnifique. J’en ai parlé en story. J’ai dit : est-ce que ça vous intéresserait ? J’ai une occasion sur ce tissu et j’arrive à un prix de 165€. Je leur ai demandé quel était à leur avis le prix acceptable pour une très belle chemise de ce type. J’ai obtenu environ une cinquantaine de réponses et ça allait de 50,00€ à quasiment 200,00€. J’ai bêtement fait une moyenne et j’ai dit : si je prends la moyenne de vos réponses j’arrive à 119€ sauf que je n’arrive à produire à moins de 165€. Est-ce que vous croyez que je vais réussir à faire mieux ? J’ai finalement réussi à descendre à 145€ et là j’ai lancé une nouvelle story en disant que je ne pourrais pas descendre en dessous. Il n’y a pas eu d’engouement fort pour ce projet en pré-commande et je ne me suis donc pas lancée à ce moment-là.

“Je trouve ça incroyable toute l’énergie positive que je reçois”

J’ai fait beaucoup de sondages également sur Instagram, pour essayer de comprendre plus globalement les attentes par rapport à une marque grandes tailles. Par exemple, j’ai demandé qu’elles étaient les matières qu’elles ne trouvaient pas facilement en grandes tailles et qu’elles aimeraient trouver dans la collection. La première était la soie et la deuxième, le cachemire. Je n’ai pas fait de soie dans cette collection parce que vus les coûts de production, et considérant qu’une blouse à 200 euros ça ne passait déjà pas, personne n’aurait acheté. Au-delà de faire plaisir à sa communauté, il y a les contraintes des réalités opérationnelles.

On pense que c’est rapide de construire une communauté mais pas tant que ça. Moi j’étais soufflée d’avoir 2 500 followers assez rapidement, c’était énorme. Mais ça ne veut pas dire que ces followers vont forcément se convertir en clients. Aujourd’hui, il y a de nombreuses femmes qui me suivent qui sont d’une telle bienveillance. Elles n’ont pas les moyens d’acheter une pièce Les Militantes pour l’instant mais me disent on soutient ton projet parce que ok on n’a pas les moyens mais on sait que ce que tu fais, c’est fait avec du cœur. Je leur dis que j’espère pouvoir bientôt proposer des pièces à d’autres prix. Je trouve ça vraiment super touchant que des femmes comme ça écrivent ce genre de choses. Je trouve ça incroyable toute l’énergie positive que je reçois.

Cette interview a été réalisée en novembre 2021. Un grand merci à Nathalie, dont j’espère ne pas avoir trahi les mots, pour ce riche échange.

Retrouvez Les Militantes sur Instagram et sur le site Internet

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