On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier

C’est un peu comme une longue conversation avec une amie. Cette amie qui répond invariablement oui lorsqu’on lui demande si elle va bien. Et puis un soir, de façon inattendue, alors que avouons-le, nous avions posé la question de façon machinale, sans vraiment attendre de répondre, elle répond : non. Et en un flot rapide et ininterrompu, elle se met à parler.

Et à dire sans préambules toutes les choses violentes qu’elle a vécues si longtemps sans les partager, ni les dénoncer, peut-être même en partie sans les comprendre. Mais ce soir là, elle les nomme. Et cela ouvre une fenêtre comme sur un univers parallèle : le monde des gros.

Gabrielle Deydier raconte son parcours de grosse et sa nécessité d’en parler. Elle n’en fait pas une analyse sociologique, elle n’en tire pas de conclusions générales. Elle est alternativement objet de sa propre étude quand elle se raconte puis observatrice embarquée quand elle rapporte le résultat de ses enquêtes artisanales sur le terrain. Elle expérimente pour comprendre une partie de cet univers qui lui est familier et étranger à la fois. Comme lorsqu’elle s’interroge sur les raisons qui mènent à tenter une chirurgie bariatrique dont elle souligne le caractère si incongru sans chercher à l’expliquer.

Les explications pour l’instant, elle laisse à d’autres le soin de les fournir. Comme à Daria Marx qu’elle évoque et dont on sent qu’elle respecte le militantisme sans vouloir ou pouvoir l’adopter. Mais elle est en mouvement, se questionne et cherche l’espace où elle fera bientôt entendre sa voix.

C’est donc simplement le récit d’une vie mais c’est une belle ambition que de ne pas tenter d’être autre chose que soi, pleinement soi, et c’est ce qui donne toute sa puissance à ce livre qui se lit d’une traite, comme lorsque l’on sent qu’il ne faut pas interrompre cette amie qui parle enfin, sous peine de lui faire perdre son élan. Gabrielle Deydier a la générosité de nous offrir un témoignage honnête et brut et nous demande juste de l’écouter mais de l’écouter vraiment.

Livre :
On ne naît pas grosse. Gabrielle Deydier, Goutte d’Or, 2017, 160p.

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